Le cas singulier de Benjamin T. by Rolland Catherine

Auteur:Rolland,Catherine
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: Les Escales
Publié: 2018-02-08T00:00:00+00:00

21

En sortant sur le trottoir, j’aperçus l’ambulance où David m’attendait, garée à une quinzaine de mètres. Renversé sur le siège, il écoutait trop fort un de ses morceaux de rap favoris dont les basses résonnaient dans toute la rue, frappant le volant en rythme du plat de la main. Absorbé par la musique, il ne surveillait pas l’entrée de l’immeuble et je m’empressai de faire demi-tour, remontant au pas de course la rue tortueuse en direction de la station de métro.

Comme chaque matin, l’immense marché de la Croix-Rousse étendait ses stands d’un bout à l’autre du plateau, sur presque un kilomètre. Il faisait beau, il y avait foule et l’atmosphère était joyeuse et bon enfant. À mon passage, les marchands m’interpellaient pour me vanter la qualité de leurs fruits et légumes, on cherchait à me vendre divers articles indispensables comme un tee-shirt bariolé aux couleurs d’une équipe de foot inconnue, ou un détecteur de radars à brancher sur l’allume-cigares, garanti indétectable par les forces de police et de gendarmerie.

Au milieu des commerces à ciel ouvert, de grands Africains en boubous, traînant derrière eux des sacs de voyage à roulettes usagés, proposaient avec des airs de conspirateurs des montres, des lunettes de soleil et des ceintures, ainsi que des cigarettes détaxées et toutes sortes de substances illicites fournies dans des petits sachets en plastique. Au troisième abordage, j’achetai une cartouche de Winston. Presque dix ans plus tôt, j’avais juré à Sylvie que j’arrêtais, et que je ne dépenserais plus un sou pour un paquet de clopes, de toute ma vie. Je me mentais à moi-même et après environ quarante-huit heures d’abstinence complète, j’avais payé David pour qu’il m’achète mes cartouches, que d’ailleurs je planquais chez lui.

Je venais de franchir un cap. Dans le fond, il était sans doute temps de commencer à assumer les réalités, celle-ci comme les autres.

Au moment où je passais les tourniquets du métro, mon portable vibra dans ma poche. Ce ne pouvait être que David ou Viviane, et je choisis de ne pas regarder lequel des deux m’appelait, de peur d’être tenté de lui répondre.

Une rame arrivait au moment où je débouchais sur le quai et je m’y engouffrai, évitant de penser à quoi que ce soit. Je changeai à Hôtel de Ville, pris la ligne A, assis en face de deux religieuses en soutane grise qui parlaient une langue inconnue, peut-être du hongrois, ou du suisse allemand. Leurs habits autant que cette langue aux inflexions germaniques me mirent assez mal à l’aise pour que je finisse par me lever et aller attendre debout devant les portes l’arrêt suivant.

Je débouchai rue Victor-Hugo, une des artères commerçantes huppées de la Presqu’île. Je croisai plusieurs groupes d’étudiants qui rentraient chez eux, formatés petite bourgeoisie lyonnaise, cheveux longs, jupe et talons hauts pour les filles, chemise et blazer pour les garçons. Depuis le déménagement de Sylvie, Pierrick allait au lycée Ampère, pas très loin d’ici, et j’étais dérouté de songer qu’il connaissait peut-être ces gosses bien sous tous rapports, qu’ils étaient peut-être ses amis.

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